Une fonderie se couvre de panneaux solaires

Au vu des importants besoins en énergie de l’entreprise Kugler Bimetal au Lignon, le potentiel solaire de la toiture ne pouvait rester inemployé. La Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI), propriétaire du bâtiment, l’a bien compris: elle vient d’installer 830 panneaux photovoltaïques sur une surface de 1500 m2.

Véronique Stein | Tout l’immobilier | 8.10.2018

Monter sur les toits de l’usine Kugler Bimetal est une expérience hors du commun: sa forme en shed – ou dents de scie – est représentative des industries du XIXe siècle. Mieux encore, les cheminées de la fonderie pointent au milieu des 830 panneaux solaires photovoltaïques bleutés. Si la surface en toiture est impressionnante, l’électricité produite par les capteurs ne couvrira en réalité que 8% à 10% de la consommation annuelle de l’usine. Pour le comprendre, il faut pénétrer au coeur des ateliers et assister à une coulée de bronze, l’une des phases gourmandes en énergie du procédé dit «bimétal».

La FTI, opérateur urbain public

Située dans la commune de Vernier, l’entreprise Kugler Bimetal SA se trouve dans la plus vieille zone industrielle du canton, sur des terrains propriétés de la Ville de Genève. L’histoire qui lie la Fondation pour les terrains industriels de Genève (FTI) à Kugler commence en 2014: l’usine rencontrait alors de graves difficultés financières et décide de vendre son bâtiment à la FTI (opération de cession-bail ou sale and lease back). Dès lors, Kugler Bimetal s’est redéployée et a alloué ses capitaux à des machines de dernière génération. En moyenne, six machines ont été remplacées par une seule, plus performante. «Cet investissement dans l’outil de production a permis de réduire les besoins en surface de l’usine et de proposer les locaux libérés à d’autres entreprises, précise Yves Cretegny, directeur général de la FTI. Avoir un impact moindre sur le sol est intéressant dans le contexte du territoire genevois, exigu. Et l’une des missions de la FTI est justement de s’assurer que chaque mètre carré industriel soit bien utilisé».
Pour Antonio Hodgers, magistrat en charge du Département du territoire, présent à l’inauguration, cette démarche illustre parfaitement l’objectif du Conseil d’Etat en la matière: soutenir le secteur industriel local, synonyme d’excellence suisse, de plus-value et de savoir-faire.

Fleuron de l’industrie métallurgique genevoise

Les origines de Kugler Bimetal remontent à 1854: l’entreprise Kugler est alors spécialisée dans la robinetterie. Cette activité lui permet d’acquérir une solide expérience dans la fusion du bronze, ainsi que dans la fonderie d’alliages de cuivre et dans l’usinage de pièces complexes. En découle dès 1950 la technologie «bimétal», qui connaît rapidement ses premiers succès à l’exportation. En 1961, l’usine Kugler Bimetal est inaugurée au Lignon, là où elle se trouve aujourd’hui, au chemin du Château-Bloch. La branche Bimetal et le département robinetterie se séparent en 1996, le second rejoignant le groupe Similor.
Kugler Bimetal SA est reconnue aujourd’hui comme spécialiste mondial de la «tribologie», c’est-à-dire la science des frottements. «La technologie bimétal fournit des solutions adaptées en combinant les propriétés antifriction du bronze et les propriétés mécaniques de l’acier. Ce procédé a pour effet de prolonger la durée de vie des pièces soumises aux frottements et de réduire les besoins de lubrification des systèmes mécaniques», explique Jérôme Chanton, directeur général de Kugler Bimetal. Le marché de la tribologie est gigantesque et concerne de nombreux domaines, tels que l’industrie, les systèmes hydrauliques et ferroviaires, l’aviation et l’aéronautique.
«Des études ont démontré que l’application des principes de tribologie pouvait réduire considérablement les coûts liés à l’usure. Par ailleurs, ce procédé permet d’économiser de la matière et de l’énergie» ajoute Jérôme Chanton. On retrouve les pièces produites chez Kugler Bimetal un peu partout, notamment dans les machines de construction, les turbines et les moteurs diesel. Avec ses 70 employés, l’entreprise genevoise Kugler Bimetal exporte aujourd’hui plus de 80% de sa production en Europe, aux Etats-Unis et en Asie, diffusant par ce biais une technique remarquable.

Des fuites d’eau au photovoltaïque

Construite dans les années 1960, la toiture de l’usine Kugler présentait des problèmes d’étanchéité; cela est particulièrement préoccupant dans le cas d’une fonderie, car «une goutte d’eau qui tombe dans du bronze liquide peut tout faire exploser», assure Jérôme Chanton. La FTI a profité de la rénovation de la toiture pour installer des panneaux permettant de produire de l’énergie en circuit court à un prix attractif. Couvrir de capteurs solaires les pans en shed d’une toiture est une démarche innovante; l’ancien entrepôt SNCF de la «Halle Pajol» à Paris en a fait l’expérience, se positionnant ainsi comme la plus grande centrale solaire urbaine de France. A Kugler, la société Eger Energy a assuré l’installation photovoltaïque sur la toiture, grâce à un système de pose sans percement; le coût (350 000.-) a été entièrement pris en charge par la FTI, qui va revendre l’électricité produite à l’entreprise.
L’initiative Kugler-FTI peut se targuer aujourd’hui de développer une économie qui produit mieux avec une empreinte environnementale moindre. Réduction de la surface au sol, optimisation des infrastructures et des ressources, fourniture d’énergie «propre» rendent ce projet exemplaire en termes d’écologie industrielle.