Orfève, les créations chocolatées d'un tandem autodidacte

Autodidactes géniaux, Caroline Buechler et François-Xavier Mousin élaborent de grands crus de chocolat, de la fève à la tablette. Ces transfuges de l’horlogerie exportent désormais leurs petits bijoux jusqu’aux Etats-Unis

Caroline Buechler et François-Xavier Mousin, artisans chocolatiers dans leur atelier Orfève à Satigny. 6.4.2023. — © Eddy Mottaz / Eddy Mottaz / Le Temps
Caroline Buechler et François-Xavier Mousin, artisans chocolatiers dans leur atelier Orfève à Satigny. 6.4.2023. — © Eddy Mottaz / Eddy Mottaz / Le Temps

Journal Le Temps | Véronique Zbinden | 5.05.2023

Leurs élégantes tablettes ivoire, frappées de lettres d’or, viennent de prendre place sur les rayons de Pepi’s Cocoa Store, à Broadway, parmi les grands noms de la chocolaterie artisanale de luxe. Voici quelques semaines, ce sont leurs deux visages qui sont apparus sur le site de l’adresse de référence états-unienne. Caroline Buechler, corpulence de liane et regard bleu outremer, François-Xavier Mousin, le verbe clair et l’énergie des passionnés, sont à l’origine d’Orfève, première manufacture genevoise artisanale bean to bar (autrement dit: «de la fève à la tablette»).

Il y a quelques années pourtant, ces deux autodidactes un peu barrés avaient créé l’indignation du très huppé quartier genevois de Champel, copieusement enfumé alors qu’ils testaient leur nouveau torréfacteur… Les deux lascars avaient alors migré en périphérie, remisant leurs expérimentations dans un pavillon de banlieue voué à la démolition.

Une quête du graal

Nous sommes en 2016 et les apprentis chocolatiers bricolent leur première liqueur de cacao à la façon des pionniers des microbrasseries. «Il nous a fallu un an et demi pour apprendre les bases du métier», notent les deux transfuges de la haute horlogerie. Sourçage et tri des fèves, torréfaction, broyage à la meule de pierre pour transformer le grué en liqueur de cacao; conchage à l’ancienne et enfin tempérage et moulage. Une alchimie très lente, très mystérieuse, dont on parvient peu à peu à maîtriser les étapes en échouant souvent, en expérimentant sans cesse et en goûtant beaucoup. Une véritable quête du graal, aussi, pour dénicher et configurer le matériel adapté à un processus artisanal…

On les retrouve aujourd’hui dans leur nouvel espace de la zone industrielle de Satigny, quelque 550 m² complètement réaménagés, cloisonnés et équipés par leurs soins, réunissant l’administration, la production, le stockage et le conditionnement. La PME a entre-temps parcouru un chemin incroyable dans l’univers de l’artisanat de luxe, grâce à ce duo de choc.

Elle? Caroline Buechler a grandi sur la Côte vaudoise, en provenance d’un pays qui n’existe plus, avec des parents fuyant la Tchécoslovaquie communiste; arrivée à l’âge de 3 ans, en 1986, Caroline fait des études de sciences politiques, qu’elle finance grâce à un job dans l’import-export. Elle se voit journaliste ou avocate, mais commence par intégrer l’équipe marketing d’une rédaction, avant de se retrouver un peu par hasard dans l’horlogerie. «Au fond, je n’étais pas intéressée par le luxe, mais je rêvais déjà de créer quelque chose par moi-même.»

Entretien d’embauche à l’origine

Natif de Sierre avec des origines belges, François-Xavier Mousin a longtemps hanté les auditoires de différentes facs, avant de conclure par une paire de DEA en économie à l’Université de Genève, tout en travaillant dans le négoce de vins. Un coup de cœur pour un grand créateur horloger plus tard et le voilà propulsé directeur marketing «sans rien connaître au métier».

Un duo étonnant: peu conventionnelle déjà, leur première rencontre ne s’est pas faite via des amis ou un site, mais à l’occasion d’un entretien d’embauche dans l’horlogerie. Et c’est peut-être bien leur vision du luxe qui les a réunis: «Un concept creux, certainement pas une fin en soi, si vous n’avez pas l’amour du produit, du concret – qu’il s’agisse d’une grande complication ou d’un grand cru du Pérou.» Des rebelles du luxe, en somme. Ou quelque chose comme ça.

Elle est l’esthète, cisèle la forme et l’or des emballages, l’habillage de la marque, son réseau et ses contacts, sa communication. Il travaille sur le fond, bricole et customise ses machines, artiste du cacao, en quête des meilleures origines et de la vérité des goûts, un doux mélange de MacGyver et de Professeur Tournesol.

Muscade, cannelle et fruits rouges

«C’est en cherchant à offrir des coffrets contenant des produits du terroir que je me suis intéressé pour la première fois au chocolat», raconte François-Xavier. «Que j’ai réalisé que la plupart des chocolatiers ne fabriquent pas leurs tablettes, se contentant de réaliser l’étape ultime avec une matière première issue des mêmes grands couverturiers.» Tout est parti de cette réflexion: «Deux heures plus tard, j’appelais Villars pour voir s’ils avaient des machines à nous vendre», se souvient Caroline.

Leur dernier coup de cœur se nomme Quillabamba. Un cacao cultivé en agroforesterie au sud du Pérou, à quelques lieues de la Vallée sacrée des Incas: des fèves minuscules de la variété Chuncho qui se transforment en tablettes «noir de noir 70%» aux arômes d’épices, muscade, cannelle et fruits rouges, avec des notes légèrement fumées. Une des six origines explorées en ce moment, des Iles Salomon à La Grenade, pour autant d’histoires et de profils aromatiques distincts. La philosophie des créateurs d’Orfève est proche des single malt: pas question d’assemblages, pour se concentrer sur le caractère et le goût propres aux «Pure Origins». A chaque fois, un véritable voyage.

Profils

  • 1971 Naissance de François-Xavier Mousin à Sierre.
  • 1983 Naissance de Caroline Buechler à Bratislava.
  • 2017 Première tablette aboutie et création de la marque Orfève dans une maison de Thônex (GE).
  • 2021 Ils abandonnent leur activité de consultants pour se consacrer à Orfève.
  • 2023 Leur chocolat s’exporte à New York, après de nombreux pays européens, les Emirats arabes unis, l’Australie et le Canada.

Source : Journal Le Temps