« L’Espace Tourbillon permettra de mutualiser nos ressources »

D’ici environ deux ans, le futur Espace Tourbillon à Plan-les-Ouates devrait accueillir ses premiers locataires. Particularité du projet : ces lieux regrouperont une dizaine d’entreprises sociales, employant quelque 1000 personnes. Marc Nobs, directeur de Partage, une des institutions qui y sera hébergée, explique ce qu’apportera cette structure aux locataires. Il propose également de nombreuses pistes pour valoriser les déchets alimentaires.

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour le site Genie.ch

Le projet Espace Tourbillon est véritablement novateur et permet de réfléchir le territoire, les activités et les infrastructures différemment. Parmi ses locataires, la banque alimentaire genevoise Partage. Créé en 2005 par 5 membres (l’Armée du Salut, le C.A.R.E., Caritas Genève, les Colis du Cœur et Emmaüs), cette fondation est en train de diversifier ses prestations, notamment en valorisant les denrées alimentaires non consommées et celles issues de la surproduction. Interview avec son directeur, Marc Nobs.

Lors du lancement du projet Espace Tourbillon, il était prévu que cinq organismes devaient déménager, à savoir Partage, Pro, Clair-Bois, Trajets et le centre Social Protestant (CSP). D’autres institutions ont-elles annoncé leur intérêt à rejoindre cet hôtel d’entreprises sociales ?

Marc Nobs : Oui, plusieurs autres entités vont rejoindre l’Espace Tourbillon : Genève Roule, la Croix-Rouge, Pro-Juventute, la Fondation Ensemble pour une partie de ses activités et l’initiative youthforsoap (dont la redistribution de savon passe par Partage). En plus Fides, la fondation propriétaire des immeubles a créé dans le cadre de ce projet un laboratoire d’innovation sociale, dirigé par Bettina Feldmann, (ndlr : la fondatrice et ex-directrice de Philias). Il y aura donc 10 institutions différentes, et pas loin de 1000 personnes.

Avez-vous déjà imaginé quelles pourraient être les synergies entre vous ?

M.N : C’était l’axe incontournable du mécène qui aide ce projet : pouvoir rassembler, mutualiser, créer des synergies entre institutions pour permettre d’affecter plus de fonds aux missions initiales de chaque entité, plutôt que pour des activités horizontales. Nous sommes en train de travailler de manière intensive entre les divers responsables pour trouver le plus de synergies possibles, sans toutefois donner l’impression que nous fusionnons. Il y a une vraie pesée d’intérêts pour savoir jusqu’où l’on va et cela nécessite un important changement de mentalités.

Quels types de mutualisation est envisageable ?

M.N Tout ce qui est téléphonie, informatique, etc. sera mutualisé. La décision est prise, mais il faut voir quelle forme cela prendra. Un autre type de mutualisation concernera Pro, Trajets, CSP et Clair-Bois, car ces quatre entités pourront ainsi utiliser une blanchisserie industrielle de grande dimension. Enfin, nous travaillons sur la gestion des déchets, sur les transports…

J’imagine que cela suscite certaines craintes…

M.N : Quand on parle de mutualisation, des collaboratrices et collaborateurs craignent en effet des réductions de personnel. Mais nous ne sommes pas du tout dans cette configuration et nous ne toucherons absolument pas à nos cœurs de métier.

Cette réunion va-t-elle également favoriser les circuits courts ?

M.N : Aujourd’hui, le mobilier et les habits du CSP de même que les produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité (ce dont nous nous occupons) transitent par Partage et ces activités de collecte pourront être rationalisées. L’idée est également de voir si le site aurait intérêt à avoir une centrale d’achats par rapport aux besoins des différentes entités qu’il hébergera. Cette centrale pourrait être une entité sociale et également servir de relais aux entreprises sans caractère social, mais hébergées à l’Espace Tourbillon. Il s’agit de pistes que nous explorons et il n’y a aucune certitude quant à la réalisation d’une telle centrale d’achats.

Venons-en à la Fondation Partage. Auparavant uniquement banque alimentaire, elle est en train de transformer ses activités, notamment avec le développement de projets de valorisation de denrées alimentaires non consommées et le traitement de produits frais issus de la surproduction. Pouvez-vous expliquer les raisons de ces changements ?

M.N : Cette volonté de diversification part d’un constat plutôt positif sur le fond : on récupère de moins en moins d’invendus en termes de produits frais, car les détaillants font toujours plus d’efforts pour bien gérer leurs stocks. C’est un bon signe, car il y a moins de gaspillage alimentaire. Mais pour nous, dans le cadre de notre réponse à la précarité alimentaire à Genève, cela nous pose un problème, car nous avons moins de produits mis à disposition.

Nous pensons nos activités sur trois axes : la lutte contre le gaspillage alimentaire (lié aux trois piliers du développement durable) ; la réponse à la problématique de la précarité par le biais des produits que nous récoltons ou achetons, et la réinsertion professionnelle avec des collaborateurs en emplois de solidarité.

Quand nous nous sommes rendu compte que les récoltes diminuaient, nous avons réfléchi à des pistes pour continuer à proposer des aliments provenant d’autres sources que la récolte dans les magasins. Nous sommes allés vers les producteurs ainsi que les coopératives de producteurs et avons vu qu’un de leurs problèmes était lié à une production de fruits et légumes très saisonnière. Il a fallu réfléchir à un moyen de la stabiliser afin d’avoir un stock régulier à disposition des institutions.

Nous sommes en train de mettre en place des rations de légumes mis sous vide ou congelés et essayons de voir s’il est également possible d’élaborer des recettes (genre ratatouille) avec ceux-ci. Nos défis : trouver des contenants écologiques et pratiques pour gens qui sont mobiles ou qui n’ont pas de domicile fixe…Nous cherchons également la meilleure formule pour les distribuer.

Vous avez aussi un projet de déshydratation de fruits en cours. Qu’en est-il ?

M.N : Il concerne principalement les pommes et les poires. Il fait partie des six projets sélectionnés dans le cadre du concours Agridea 2019, ce qui nous permet d’être accompagnés par la centrale de vulgarisation agricole Agridea ainsi que par l’organisme faîtier Suisse Fruits, et de bénéficier d’un soutien technique de leur part.

Comme il s’agit d’une installation importante en termes d’investissement, nous allons rester pragmatiques et ne partirons dans ce projet que si tous les signaux sont au vert, y compris au niveau de nos bénéficiaires, raison pour laquelle nous avons lancé une étude pour voir s’ils désirent recevoir des fruits séchés et des légumes en bâtonnets ou préparés.

Concernant l’installation de déshydratation, il semble qu’il n’en existe aucune en Suisse ayant un caractère industriel. Cela pourrait donc être un outil rendant service aux producteurs et permettrait de rentabiliser leur exploitation. Je trouve donc que ce projet est passionnant !

Est-ce que le futur Espace Tourbillon va avoir un impact sur ces projets ?

M.N : Concernant les légumes, nous sommes encore en phase de test, mais nous préparons déjà des sachets de légumes sous vide que nous distribuons. Cela reste des quantités confidentielles, car nous n’avons qu’une petite cuisine. Raison pour laquelle nous parlons de ce projet dans nos discussions en vue de notre arrivée dans l’Espace Tourbillon : nous voudrions donner une dimension différente à notre potentiel de production.

Sinon, nous avons déjà des idées de mutualisation. Ainsi, nous nous sommes associés à la cuisinière Anita Lalubie (ancienne cheffe de l’émission Al Dente de la RTS) pour créer des recettes de cookies à base de pain sec transformé et d’autres invendus récoltés par Partage. Cela permet de limiter le gaspillage alimentaire et de trouver de nouveaux produits à distribuer à nos bénéficiaires en situation de précarité. Comme nous ne pouvons pas les produire chez nous, nous sommes en train de voir avec Pro s’ils peuvent nous mettre à disposition leurs cuisines lorsqu’elles ne sont pas utilisées afin que nous puissions préparer la pâte et effectuer la cuisson.

Cela dit, toutes les démarches doivent avoir un sens économique afin que notre mission soit crédible.

La Suisse est l’un des pays européens qui produit le plus de déchets urbains en Europe. Comment les entreprises peuvent-elles les réduire ?

M.N : A noter tout d’abord que 30 à 40% des déchets alimentaires proviennent des ménages (de loin le pourcentage le plus élevé, les détaillants étant en fin de course). Ceux qui gaspillent le plus sont les familles qui font une fois par semaine les courses.

Concernant les entreprises, le déchet constitue un problème et aucune d’entre elles s’enorgueillit d’en produire. Les solutions ne sont pas évidentes, mais une mutualisation de la gestion des déchets de manière globale pourrait constituer une piste. Au sein des entreprises, il pourrait y avoir des sites de valorisation déterminés en fonction des spécialités des entreprises. Les entreprises pourraient réfléchir à la manière d’imaginer des solutions de valorisation qui commenceraient à l’interne.

Ce type de valorisation à l’interne des entreprises existe-t-il déjà ?

M.N : A Milan, Elior, une importante société de restauration collective, a été sensibilisée au problème du gaspillage alimentaire, et a décidé de gérer elle-même les déchets en mettant en place tout un dispositif pour que les plats cuisinés non consommés puissent être conditionnés et redistribués par les banques alimentaires aux populations précarisées. L’entreprise en question assume ses déchets encore consommables et fait en sorte que l’étape suivante puisse directement les utiliser.