Le grand bond en avant

Plus de 100 000 m2 de surfaces constructibles réparties sur 11 périmètres, soit près de 1000 logements: c’est ce que le canton de Genève a transmis cet hiver aux coopératives. A l’issue d’une procédure d’attribution ouverte à ses membres, le Groupement des coopératives d’habitation de Genève (GCHG) a établi, fin janvier, une liste – sur laquelle l’Etat doit se prononcer.

Dans notre édition de septembre 2016, le conseiller d’Etat genevois Antonio Hodgers affirmait son intention de confier davantage de terrains et de responsabilités aux coopératives’. Officialisant ces paroles le 21 novembre dernier à l’occasion d’une conférence de presse, le ministre déposait en sus, dans la corbeille de la mariée, 11 périmètres, pour une surface constructible totale de 103480 m2. Avec mission confiée au GCHG de proposer les bons candidats.

Détaillant les terrains, Vinh Dao, directeur à l’Office cantonal du logement et de la planification foncière (OCLPF), insiste sur leur nature très variée. Il en est des petits et des grands, des dents creuses ou des éléments intégrés à des grands projets d’urbanisation, plutôt situés au centre ou peu ou prou en rase campagne… «Ils obéissent aussi à des temporalités très différentes.» Certains, au bénéfice d’un plan localisé de quartier (PLQ) entré en force ou en zone urbanisée, sont pratiquement prêts à l’usage, tel celui de Clos-Belmont, pour une vingtaine de logements à proximité de la gare des Eaux-Vives. A l’autre extrémité du spectre, sur un total de 800 à 1000 logements, plus de la moitié doit être construite par des coopératives sur deux parcelles du grand projet des Communaux d’Ambilly, à Thônex. Mais à la demande de la commune, l’ensemble des logements de cette étape ne pourront pas être livrés avant 2025… C’est loin, un peu moins si les coopératives jouent un rôle important en amont, par exemple dans l’établissement du PLQ, ou dans le processus participatif qui doit accompagner le projet.

Actives en amont des projets

Dans l’interview publiée en septembre dernier, Antonio Hodgers affirmait son intérêt pour les processus participatifs, susceptibles de favoriser la qualité des projets. Et en conséquence pour les coopératives qui ont développé des compétences dans ce domaine. Elles pourraient être mises à contribution quand le projet concerne un nouveau quartier comme celui des Communaux d’Ambilly. Elles le seront certainement dans les zones tests, telle Cointrin Est, où les coopératives devront essayer de convaincre des propriétaires de villas de libérer leurs terrains pour permettre d’y développer – ensemble – l’habitat collectif. Des membres du comité du GCHG, qui ont participé à des séances d’information aux habitants, ont confirmé que des propriétaires sont sensibles à l’approche des coopératives – attention: sensibles ne veut pas dire convaincus! Parmi les arguments porteurs: le principe du droit distinct et permanent de superficie (DDP), qui permet aux propriétaires de le rester.

Le temps des consortiums

Pour sélectionner les candidats, une procédure accélérée a été lancée par le GCHG. Dans un premier temps, 32 coopératives ont manifesté leur intérêt, pour une, deux et jusqu’à cinq parcelles. «Sur une soixantaine de membres, cela témoigne d’une réelle volonté de construire, c’est plus que positif», réagit Guillaume Kâser, membre du comité du GCHG. Dans un deuxième temps, elles ont dû présenter des projets, en tenant compte de certains critères.

Le canton souhaitait favoriser la collaboration inter-coopératives, et l’émergence de nouveaux acteurs. Pour aller gaz dans son sens, le GCHG a décidé de privilégier les consortiums d’au moins deux coopératives pour les objets de plus de 50 logements, ainsi que l’intégration de nouvelles coopératives (ou primo-coopératives) passé la taille des 100 logements. Egalement mentionnée dans l’appel à candidature émis par le GCHG, la plus-value accordée aux consortiums entre entités de natures différentes – traditionnelle, participative, propriétaire, etc.

Les dossiers devaient être déposés avant mi-décembre. Courant janvier, ils ont été évalués et notés – système de points – au cours de deux journées organisées par le GCHG. Des représentants des coopératives, répartis dans des petits groupes d’une demi-douzaine de personnes, ont délibéré, terrain par terrain. Puis une synthèse finale a été discutée et approuvée en assemblée générale extraordinaire, fin janvier. La liste a ensuite été transmise au canton. Le Conseil d’Etat, à qui revient la décision finale pour ces attributions, doit communiquer avant fin mars… trop tard pour être publié dans ce numéro d’Habitation. De son côté, la présidence du GCHG n’a pas souhaité communiquer sur les résultats d’un processus en cours. Peu de choses ont filtré sur le résultat des délibérations. Tout au plus avons-nous appris que plus de 20 coopératives sont mentionnées sur la liste transmise au canton – nombre à rapporter aux 32 participants au deuxième tour du processus.

Vitesse de réaction

Ce processus assez unique d’attribution d’une dizaine de terrains mérite qu’on s’y arrête. A l’origine, le programme présenté par le conseiller d’Etat Antonio Hodgers, et notamment la volonté affichée de permettre aux coopératives de participer à l’élaboration de PLQ, était négocié depuis plus d’une année. La décision des autorités d’accorder un rôle important aux coopératives était donc dans l’air. Mais qu’autant de terrains soient proposés d’un seul coup, et la nécessité de se positionner dans un délai assez court, a davantage surpris. «Nous avions souhaité que la liste des «petits terrains», soit présentée plus tôt, cela n’a malheureusement pas été possible», explique Guillaume Kâser.

La Ciguë’, coopérative de logements pour étudiants, fait partie de celles qui ont été un peu bousculées. «Mais l’annonce de tous ces terrains transmis aux coopératives nous a surtout enthousiasmé!», réagit Aline Juon, responsable des projets de construction. Et ceci d’autant plus que l’effet de surprise a joué. «Nous savions qu’il se passait quelque chose, mais faute d’en savoir plus, il était difficile de s’y préparer, nous sommes aussi accaparés par le quotidien!» Bref, la Ciguë n’a eu que quelques semaines pour se décider. Et qui dit coopérative participative, peut dire besoin de temps pour se mettre d’accord. Sur quel terrain postuler? En consortium avec Alpha ou avec Oméga: les efforts pour arriver à une synthèse ne sont pas anodins. Au final: «Notre coopérative d’étudiants se projette plus facilement à proximité du centre-ville. En commun avec une autre coopérative, nous n’avons fait une proposition que sur un seul terrain, celui de Soret, pour une vingtaine de logements. Ce site a l’avantage d’être situé à proximité des futurs bâtiments de la Haute Ecole d’arts et de design (HEAD).»

Option très différente pour la Codha. Son vice-président… Guillaume Kâser: «Nous avons présenté des dossiers pour les grandes surfaces. A Grosselin en consortium avec Equilibre, L’Habrik et Totem. Sur les deux terrains de la phase 3 d’Ambilly, avec la SCHS, Les Ailes, Equilibre, et une ou deux primo-coopératives qui restent à déterminer. Nous avons ajouté une candidature 2 bis pour Cointrin Est – au cas où cette zone test susciterait peu d’intérêt, nous confirmerions.» Pour la Codha, qui emploie une demi-douzaine de personnes, le choix de se positionner sur les grandes surfaces se lit aussi comme le choix de laisser les petits terrains, plus facile à appréhender, aux petites coopératives.

Une autre logique amène Equilibre à un positionnement comparable. «La dimension participative est prépondérante pour notre coopérative. Nous nous sommes donc portés candidat sur des terrains où cette dimension est la plus affirmée, notamment là où nous aurons la possibilité d’être acteur dès l’élaboration des PLQ: une nouvelle opportunité très stimulante pour les coopératives et prometteuse de quartiers différents, cocontruits avec les futurs habitants», affirme Christophe Brunet, RMO de la Coopérative Equilibre et membre du comité du GCHG. Equilibre a fait acte de candidature sur le même consortium que la Codha à Ambilly et Grosselin. Et aux Grands-Esserts en compagnie de deux primo-coopératives: MPF-Loge et CoPac.

Les primo-coopératives

La composition de ces consortiums souligne l’importance accordée aux primo-coopératives. Parmi elles, Totem, fondée il y deux ans et demi. «Depuis quelques temps à la recherche d’un terrain, nous avions déjà écrit à quelques communes. Nous participons aussi aux réunions du Groupement, dont nous sommes membres, explique une cofondatrice, Sylvie Fischer. Cela demande toutefois beaucoup d’énergie, surtout si tout le monde travaille à plein temps. Pour nous, ce processus d’attribution est une belle opportunité; cependant nous n’avons cherché à intégrer qu’un seul consortium, composé de coopératives partageant nos valeurs et sur le secteur Grosselin, car c’est le seul compatible avec une des spécificités de nos statuts.» Ceux-ci mentionnent une porte ouverte à la création de logements sous forme de propriété sans but lucratif. «De la PPE non spéculative», précise Sylvie Fischer: «J’habite dans une coopérative participative. J’apprécie cette expérience. Toutefois l’accès aux coopératives construisant principalement du logement social peut devenir difficile lorsqu’on commence à bien vivre de son travail.» D’où l’idée de développer un modèle mixte qui permet de faire cohabiter des représentants issus de classes moyennes et plus-ou-moins-moyennes mais dans lequel la spéculation sur le logement acquis serait rendu impossible par un règlement ad hoc. Si son consortium est sélectionné, Totem espère obtenir entre 30 et 40 logements, une taille idéale pour son projet.

Dans un consortium candidat à Ambilly, Les Ailes, la SCHS, la Codha et Equilibre seront associées à des primocoopératives encore non-définies. Reprenant sa casquette de membre du comité du GCHG, Christophe Brunet s’explique: «L’Etat a formellement demandé que des surfaces brutes de plancher soient accordées à des primo-coopératives. Or, il n’existe actuellement pas un très grand nombre de primo-coopératives, certaines n’existent qu’à l’état de projet. Pour pouvoir aller de l’avant, le GCHG a donc autorisé à des consortiums de se présenter en réservant des quotas pour des primo-coopératives. Il sera donc possible de les choisir et de les adjoindre ultérieurement dans ces grands périmètres.» Reste à définir les primo-coopératives. Antonio Hodgers évoque des groupes de personnes, étrangères au monde de l’immobilier, qui s’organisent pour habiter ensemble. Du côté du GCHG, on précise que la primocoopérative est une coopérative qui n’a pas encore construit, dont les membres fondateurs sont des futurs habitants, et qu’elle ne doit pas être composée de représentants de coopératives existantes, régies immobilières ou autres acteurs de l’immobilier. La définition formelle reste à préciser.

Nouveaux venus

La composition des consortiums pré-mentionnés révèle l’émergence de nouveaux acteurs, tel MPF-Loge, lancée par le Mouvement populaire des familles. Se définissant comme un «mouvement d’éducation populaire», cette organisation d’aide, de soutien et de formation fondée en 1942 a donc pris la décision de: «S’investir concrètement dans le logement», explique Joseph Crisafulli, président de la coopérative. La montée en puissance du phénomène participatif, sa convergence avec la philosophie du MPF s’incarne dans une charte mettant en avant «le bien-vivre, la convivialité et la durabilité». Cette nouvelle entité s’est portée candidate à Veyrier en compagnie d’Equilibre et de CoPac. Sur le périmètre Chapelle Gui avec Coprolo et Primevères.

Et seule pour le terrain de Clos. «Avec l’appui de notre architecte, qui a déjà collaboré avec des coopératives, nous serions en mesure d’assumer seuls un projet sur un petit terrain comme celui-ci,» précise Joseph Crisafulli.

Les périmètres ont aussi mobilisé les coopératives liées à des régies immobilières. Parmi elles, la Société coopérative pour l’habitat social (SCHS), créée il y a 15 ans par le Comptoir immobilier – 45 000 lots locatifs ou PPE sous gestion -, a intégré le consortium formé par Les Ailes, la Codha et Equilibre, pour le développement des deux grands terrains de Thônex. Pour expliquer ce choix, Yannos loannides, responsable de la SCHS, membre de la direction générale du groupe Comptoir immobilier, et ancien membre du comité du GCHG, évoque l’intérêt de pouvoir participer à la création de deux petits quartiers, et leurs relations à l’ensemble du projet des Communaux d’Ambilly. Goût pour une démarche globale, donc. «C’est aussi une question de personnes. Un consortium est une occasion d’échanges, de découvertes de nouvelles pratiques: d’enrichissement. Il y aurait moins d’intérêt à s’associer avec des coopératives qui penseraient comme nous», insiste Yannos loannides. La SCHS apprécie en tout cas le compagnonnage avec les entités participatives: elle a déjà collaboré avec Equilibre à Créssy, et développe un projet avec L’Habrik, à Lancy.

«Des quartiers qui font envie»

Le canton souhaite renforcer le rôle des coopératives à Genève. Pour autant, il ne posera pas ainsi tous les semestres 100 000 m2 constructibles sur la table. Mais si les coopératives répondent aux attentes placées en elles – notamment en favorisant la conception et la réalisation de «quartiers qui font envie» (selon l’expression d’Antonio Hodgers), d’autres opportunités suivront. Avec en ligne de mire, l’augmentation du pourcentage de logements coopératifs dans le canton. Il atteint 9% à Bâle, 15% à Zurich, contre 4% Genève… L’occasion est belle. Et en réussissant à mettre sur pied très rapidement un processus d’attribution qui a été très suivi, le GCHG et ses membres ont déjà fait preuve de leur envie et de leur capacité de mobilisation.

Marbriers (Lancy)

Environ 20 logements dans un secteur urbanisé, à proximité du cimetière de Saint-Georges. Objet de petite taille, PLQ en force.

Clos-Belmont (Genève)

Environ 20 logements en surplomb de la route de Chêne, près de la gare des Eaux-Vives. Objet de petite taille, pas besoin de consortium, pas besoin de PLQ (secteur urbanisé).

Soret-Rod (Genève)

Une quarantaine de logements à proximité de la Servette. Le GCHG proposera un candidat. Le terrain ayant été acheté avec le fonds propre affecté pour la construction de logements d’utilité publique (LUP), l’Etat doit lancer un appel public à candidatures (APC). Afin d’être cohérent sur le secteur, l’APC sera initié en partenariat avec la FPLC qui a acquis la parcelle mitoyenne. Des coopératives qui ne sont pas encore membres du GCHG peuvent aussi prétendre à ce terrain – mais elles devront adhérer si elles sont retenues. La décision de l’attribution revient à la Commission LUP pour les terrains de l’Etat.

Paumière (Chêne-Bougeries)

180 logements, dont la moitié coopératifs, sur un terrain touchant à la route de Malagnou. Mode d’attribution par APC identique à celui de Soret-Rod Cointrin Est (Le Grand-Saconnex) Secteur test dans une zone villas promise au développement. Les coopératives devront contribuer à convaincre les propriétaires de villas de céder leurs terrains ou d’accorder des DDP. (lire ci-contre) Entre 50 et 200 logements sont concernés.

Grosselin (Carouge)

Gigantesque zone test intégrée au secteur en mutation Praille-Acacias-Vernets (PAV), le secteur de Grosselin doit accueillir à terme quelque 3700 logements et 127 000 m2 d’activité. Les entreprises aujourd’hui sur place bénéficient souvent de DDP de longue durée (échéance moyenne, env. 2055). Avec le concours de fondations de droit public telle que la Fondation des terrains industriels de Genève (FTI), l’Etat doit récupérer des parcelles – en proposant de nouveaux terrains et/ou des contreparties pour les entreprises qui accepteraient de partir. Selon Vinh Dao, le processus passe aussi par des entreprises qui envisagent de se lancer comme investisseur immobilier sur les parcelles qu’elles occupent. Seules ou en partenariat avec des professionnels de l’immobilier, plusieurs se sont déjà engagées dans ce processus de négociation qui doit accompagner la mutation foncière d’une zone historiquement industrielle à une future zone dédiée aux logements et aux activités. En finalité, les coopératives pourraient en profiter. En janvier, à l’occasion du lancement d’une large démarche participative portant sur Grosselin, l’Etat et la Ville de Carouge ont réitéré leur souhait de voir les coopératives tenir un rôle important dans la transformation du site. (https://demain. ge.ch/dossier/praille-acacias-vernets/grosselin). VB

Le Groupement embauche

Le coup d’accélérateur donné par le Canton a d’autres conséquences: le Groupement des coopératives d’habitation genevoise crée un poste de secrétaire général à 50%. Composé actuellement d’une soixantaine de membres, pour un parc global de quelque 5000 logements, le GCHG va donc se renforcer pour se donner les moyens de relever les nouveaux défis qui s’offrent à lui. Le poste est à pourvoir dès le premier semestre 2017 (ou à convenir). Le descriptif est disponible depuis la home du site www.gchg.ch. VB

Onze périmètres

Communaux d’Ambilly (Thônex)

Ce grand projet du canton vise à urbaniser 36 hectares et à construire 2200 logements d’ici 2030, à proximité d’un secteur dédié au logement individuel. Les trois terrains proposés au GCHG sont intégrés dans les phases 2 et 3 du dispositif (qui en compte 3).

Al B. Objet de grande taille. 25 200 m2 constructibles, dont une moitié pour le GCHG, soit environ 115-125 logements. PLQ en cours d’établissement.

A4 et A5. Objets de grande taille. Deux terrains pour environ un total de 420 logements (235 pour la pièce A4 et 185 pour la pièce A5) qui ne doivent pas être livrés avant 2025. Les coopératives sont attendues pour participer à l’établissement du concours d’urbanisme, puis du PLQ.

Chapelle-Gui (Lancy)

Objet de grande taille. A proximité de la future gare Genève-Bachet du Léman Express (ex-CEVA). Trois bâtiments pour un total d’environ 250 logements, dont une moitié (105-120) pour les coopératives. PLQ en cours d’élaboration.

Grands-Esserts (Veyrier)

Objet de grande taille. Sur le plateau de Vessy, ce projet d’urbanisation dans son ensemble vise à terme à la création de 1200 logements sur 12 hectares aujourd’hui en pleine campagne. Une partie du PLQ de l’ensemble concerné englobe 16 000 m2 de surfaces constructibles. 5000 m2 sont réservés pour l’Hospice général, notamment pour l’accueil de requérants d’asile. Sur les 11 000 m2 des coopératives (100-110 logements), un tiers est destiné, à la demande du canton, à une ou des primo-coopératives.

Vincent Borcard

Source Habitation

Date: 20.03.2017