Le groupe d’investisseurs mené par la famille Latsis veut créer un complexe autour de l’hôpital.

Meyrin pourrait changer de visage dans la décennie à venir. La «Tribune de Genève» révèle que les propriétaires de La Tour ont opéré une cession-bail des murs de l’hôpital afin d’investir 750 millions de francs dans la construction d’un vaste complexe dédié à la santé. Si beaucoup d’incertitudes demeurent, les investisseurs disent «vouloir aller le plus vite possible». Consultées, les autorités semblent leur emboîter le pas.
«Nous souhaitons utiliser l’hôpital comme pivot d’un «campus santé» plus large et ambitieux rassemblant des acteurs du médical, de la recherche, de la technologie médicale et de la formation», annonce Jenny Paizi. La présidente du conseil d’administration s’exprime au nom des propriétaires: «Ce groupe d’investisseurs privés conduit par la famille Latsis est très lié à Genève. Depuis le rachat de l’hôpital il y a dix ans, ils n’ont cessé d’investir dans la santé et l’innovation. Ce projet traduit leur volonté de s’engager sur plusieurs générations.»
S’engager comment? «L’objectif est de mieux accompagner le patient dans son parcours de santé. Dans une société qui vieillit, l’idée est de développer la médecine personnalisée en misant sur l’innovation. Cela passe par la prévention, la nutrition, le diagnostic, les soins, la formation, la recherche et développement.»
«Premier bâtiment en 2027»
L’avantage, à Meyrin, c’est qu’il y a de la place pour construire. Les investisseurs prévoient de faire sortir de terre une douzaine de bâtiments sur une surface 180’000 m² – incluant les 30’000 m² existants occupés par l’hôpital. Le premier édifice pourrait être mis en service en 2027, estime Pierre Guth, directeur de Ergon, la société immobilière créée par les investisseurs pour développer ce projet.
Un concours d’architectes a été lancé, dont le lauréat sera choisi début avril. Parallèle aux bâtiments B1 et B2 existants, le déjà nommé B3 doit notamment permettre d’agrandir le plateau technique de l’hôpital (salles d’opération, de cathétérisme, de radiologie, etc.) et d’abriter des services médicaux aujourd’hui à l’étroit.
Conçu sur treize niveaux (huit étages, deux rez et trois sous-sols), le B3 pourrait aussi accueillir des activités complémentaires comme «un hôtel pour les familles, une clinique de réhabilitation pour les patients en convalescence, des pharmacies, des dentistes et d’autres services paramédicaux», imagine Jenny Paizi.

Raisonnable?
Le directeur de l’hôpital, Rodolphe Eurin, évoque quant à lui l’idée d’un «hôpital de famille. Aujourd’hui, on consulte les Urgences comme on va chez un médecin de famille. Pourquoi ne pas installer des généralistes dans un cadre hospitalier, où ils conjugueraient une activité clinique hospitalière et des soins de premier recours, avec ce que cela implique de prévention et de suivi?»
Dans un contexte où l’on ne contient plus l’envolée des coûts de la santé, accroître encore l’offre médicale est-il judicieux et raisonnable? «Ce qui compte, c’est le coût du parcours de soins, répond Rodolphe Eurin. À La Tour, nous cherchons à l’optimiser. Par exemple, en médecine du sport, nous avons la proportion la plus basse d’opérations des déchirures des ligaments croisés, car nous privilégions les traitements non chirurgicaux, moins coûteux, lorsqu’ils donnent un meilleur résultat pour les patients.»
Jenny Paizi ajoute: «L’innovation et la prévention contribuent à diminuer les coûts de la santé. Nous pensons par exemple que la génomique pourrait aider à prévenir certaines maladies.»
Start-up et formation
Le projet ne consiste pas seulement à développer les soins proprement dits. Le campus vise à attirer des start-up actives dans les technologies médicales, la recherche et le développement. Des synergies avec le CERN sont aussi évoquées. «Ces mondes se connaissent bien mais ont rarement l’occasion d’être réunis dans un même espace. Ces perspectives sont très stimulantes pour l’ensemble des acteurs de la santé», assure Pierre Guth.
Qui dit campus dit formation. «La Tour possède déjà une accréditation dans dix spécialités médicales», souligne Rodolphe Eurin, citant notamment la médecine interne, les Urgences, l’orthopédie ou la cardiologie. Il s’agirait également de former des infirmières, dont Genève manque chroniquement. «Nous sommes en discussion avec l’État pour créer une école de santé, comme il en existe en Valais, sur un modèle différent des HES.»
Ce n’est pas tout. Des commerces – «il n’existe pas de fleuriste à l’heure actuelle aux abords de l’hôpital –, des restaurants, des centres de loisirs, de sport et de bien-être sont également évoqués. En tout, les investisseurs évoquent la création de 3000 emplois – actuellement, l’hôpital compte 1100 employés.
Un parc
Enfin, à l’heure où les projets de densification rencontrent des résistances, une attention particulière est portée à la végétalisation. Au cœur de ce complexe, un parc offrirait un poumon de verdure. «Nous voulons créer un morceau de ville agréable, où la population aurait du plaisir à se promener», note Pierre Guth.
Le projet est donc aussi un «défi paysager, car il doit permettre l’essor de la mobilité douce. Des mails pour piétons sont à l’étude, dont l’un rejoindrait celui de la route du Mandement. Le campus sera aussi desservi par un bus à haut niveau de service.»
«Un projet réaliste et ambitieux»
Quelles sont les chances que ce projet se réalise et à quelle échéance? Consulté, l’Office de l’urbanisme, qui dépend du Département du territoire, répond par la voix de Mikaël Meyer, chef de projet. «Beaucoup de travail reste devant nous pour que ce projet prenne forme, indique-t-il. Un nouveau plan localisé de quartier (PLQ) nécessaire à la réalisation du bâtiment B3 est en cours d’enquête technique. Resteront ensuite plusieurs étapes de procédure avant que le Conseil d’État puisse l’adopter. En tout, le processus d’élaboration d’un PLQ peut prendre deux à trois ans.»
Deuxième défi: l’accueil d’activités tertiaires. Les surfaces convoitées sont aujourd’hui localisées en zone industrielle. «Il faudra soit requalifier la zone en zone d’activité mixte soit rester en zone industrielle en ajoutant une affectation complémentaire. Dans les deux cas, le Grand Conseil décidera in fine», précise encore Mikaël Meyer. Le fonctionnaire relève qu’un investissement de 750 millions «n’est pas fréquent» et que le projet représente «un véritable atout pour le canton».
La troisième étape – celle de l’aménagement du parc – semble plutôt en bonne voie même si, là aussi, elle ne va pas de soi. La zone de verdure est actuellement occupée en partie par la voirie et le centre horticole de la ville de Meyrin; il faudra trouver des surfaces pour délocaliser ces activités.
Malgré ces difficultés, «Meyrin soutient pleinement le projet de La Tour. C’est un projet ambitieux, mais nous aimons les projets ambitieux, réagit le maire Laurent Tremblet. Il s’agit d’un axe stratégique de développement tant pour la commune que pour le canton.» Le nombre de 3000 emplois lui «semble tout à fait plausible». Et si «des recours sont toujours possibles», il se félicite de «la bonne volonté de tous les partenaires».
Responsable des Affaires économiques à Meyrin, Adrien Fohrer renchérit: «C’est un projet majeur, compliqué, mais passionnant et bien avancé, car tous les acteurs du dossier ont l’intelligence de travailler ensemble pour trouver des solutions.». Si le calendrier n’est pas encore posé, il assure «vouloir avancer le plus vite possible». Que penser de la date de 2027? «C’est réaliste et ambitieux à la fois.»
Seule la Fondation des terrains industriels (FTI), propriétaire de certaines parcelles convoitées par La Tour, se montre plus réservée. «La réflexion est en cours et des contacts ont été pris avec Meyrin et Ergon. Mais aucun calendrier n’est établi et aucune décision n’a été prise, fait valoir le directeur général Guillaume Massard. Pour la FTI, il est prématuré de communiquer sur ce projet.»