Interview de Robert Cramer, Président de la FPAV

Après bien des turpitudes politiques, la Fondation PAV a enfin été portée sur les fonts baptismaux en 2019. Instrument indispensable de la transformation du secteur Praille-Acacias-Vernets, car chargée de négocier les futurs droits fonciers du principal propriétaire des lieux (l’Etat de Genève), cette Fondation est présidée par Robert Cramer, ancien Conseiller aux Etats et ancien conseiller d’Etat en charge de l’aménagement. Rencontre et discussion à bâtons rompus sur la mise en route, les enjeux et les priorités de cette Fondation.

Quel sera le rôle exact de la fondation PAV ?

La Fondation PAV se trouve au confluent de deux politiques publiques : l’aménagement du territoire et la politique industrielle. L’aménagement, parce que nous sommes régis, encadrés par des lois spécifiques extrêmement détaillées, qui vont jusqu’à déterminer le pourcentage de chaque type de logements, et qui permettent d’imposer aux futurs investisseurs des contraintes qui vont au-delà d’un plan d’affectation. Le PAV est de surcroît un périmètre dans lequel on pourra déroger aux règles habituelles de construction de la LCI, en prévoyant notamment une densité élevée (plus de 3 dans certains périmètres) et la possibilité de construire jusqu’à 170 mètres de haut. Et la politique industrielle, parce que nous voulons conserver les entreprises actuelles et trouver un point de chute dans le canton à celles qui doivent déménager.

Ce qui veut donc dire que vous allez travailler étroitement avec la FTI, garante de la politique industrielle du canton ?

Oui et pour plusieurs raisons. D’abord parce que la loi nous l’impose. L’article 3 alinéa 4 de la loi sur la Fondation PAV indique que nous devons passer une convention avec la FTI.

Le législateur (le Grand Conseil) a prévu l’architecture suivante : tout ce qui a trait à l’aménagement du territoire est du ressort de la Direction PAV, un service de l’Etat. Ce qui concerne le relogement des entreprises relève quant à lui de la FTI que nous devons soutenir dans cette tâche.

Le rôle de la Fondation PAV est de libérer les biens-fonds actuels et les mettre à disposition des futurs investisseurs, sous forme de droits de superficie de longue durée (le terrain restera en mains de l’Etat). Nous sommes un opérateur foncier, dépourvu des prorogatives de l’aménagement du territoire qui restent à la Direction PAV.

Même si les missions semblent bien définies, ne risque-t-il pas d’y avoir une compétition et des doublons entre la fondation PAV et la FTI ?

Non. Nous nous connaissons extrêmement bien avec Guy Vibourel, le nouveau Président de la FTI. J’ai siégé en sa compagnie au sein du Conseil d’administration de la Migros, dont nous avons bien évidemment démissionné tous les deux. Je crois que nous sommes des pragmatiques. Nous emménagerons d’ailleurs sous le même toit que la FTI, l’étage en-dessous. Et la Direction PAV de l’Etat occupera, je l’espère, les mêmes locaux que nous. Je souhaite que nous fonctionnions tous dans une logique de projet, dans une atmosphère commune. Tout le back-office (RH, informatique) sera sans doute externalisé à la FTI. Les espaces communs seront mutualisés. Nous ouvrirons probablement un guichet lorsque nous serons opérationnels.

Rassurez-nous, vous possédez quand même quelques moyens dans la fondation PAV ?

Bien sûr. Nous avons reçu les terrains de la part de l’Etat, ce qui représente un montant de 450 millions, et nous avons reçu une dotation supplémentaire de 60 millions. Notre durée de vie prévue, toujours selon la loi, est de 40 ans. Je prévois que dans un premier temps, la Fondation sera bénéficiaire.

Puis, dans un deuxième temps, elle perdra sans doute de l’argent, car les montants à disposition ne suffiront pas lorsqu’il faudra indemniser les superficiaires qui résilieront leur droit de superficie avant terme.

Et dans un troisième temps, la Fondation regagnera de l’argent avec les nouveaux droits de superficie octroyés aux investisseurs.

De tels montants risquent d’aiguiser les appétits des superficiaires lors des négociations pour leur racheter leurs droits ?

Certes, mais n’oublions pas que la Fondation PAV et une Fondation publique, donc régie par le droit public. Cela signifie qu’elle doit impérativement respecter 2 principes : la légalité et l’égalité de traitement.

Une de nos premières tâches sera d’établir un barème transparent pour le dédommagement des droits de superficie, en fonction de plusieurs critères comme l’affectation future des terrains (logements LUP, PPE, activités, domaine public). Nous ne pourrons donc pas faire de cadeaux.

Certes, mais les droits de superficie actuels courent pour la plupart jusqu’en 2050, voire 2060. Les détenteurs actuels n’ont aucune raison de se précipiter.

Oui et non. Le dédommagement dépend du nombre d’années restantes. Il diminue donc au fil des ans et deviendra plus intéressant pour la Fondation d’attendre son extinction pure et simple, qui ne donnera lieu à aucun dédommagement. Si de trop grandes réticences se manifestent pour la libération des terrains, la Fondation PAV et l’Etat prendront le temps qu’il faudra.

Ensuite, comme nous sommes également propriétaires des terrains, cela signifie que les superficiaires actuels ne peuvent pas transformer leurs bâtiments sans notre autorisation. Donc chacun fera ses calculs et tout le monde aura intérêt à trouver une solution win-win. Il n’y aura pas de solution type, mais sans doute une solution adaptée à chaque entreprise.

Il y a sans doute des secteurs du PAV qui sont plus urgents que d’autres ?

On peut imaginer que les périmètres les plus proches de la ville, ceux où sont prévus la plus grande densité de logements et plus particulièrement des logements LUP seront prioritaires. La Caserne des Vernets et l’Etoile sont déjà en route, Acacias et Grosselin vont suivre. En cela nous dépendrons de l’activité de la direction PAV. Nous agirons en premier dans les secteurs où les PLQ sont lancés. Nous irons alors voir l’ensemble des entreprises pour négocier avec elles.

Quels types de logements seront construits dans le PAV ?

Les proportions sont figées dans la loi. Sur l’ensemble des terrains propriété de l’Etat, soit la majorité, il devra y avoir 24% de LUP (logements d’utilité publique) HBM, 38% d’autres LUP, 26% de logements en zone de développement et 12% de PPE.

Les logements vendus en PPE ne seront pas en pleine propriété, mais sur des droits de superficie à long terme (90 ans). Cela ne va-t-il pas décourager les acheteurs ?

Je pense qu’on trouvera suffisamment d’acheteurs. Notre rapport à la propriété évolue et personne n’habite plus de 90 ans dans le même logement. Quant aux générations futures, elles n’habitent plus forcément dans un logement familial qui se lègue de génération en génération.

Les opérations foncières menées en zone villas illustrent cette tendance. En fait, le logement sera moins cher à l’achat mais les propriétaires ne pourront pas réaliser de plus-value foncière lors de la revente de leur bien. Ces logements sont à mi-chemin entre la PPE classique et la coopérative. En Grande-Bretagne, ce système est très répandu.

Le pourcentage de LUP est important : pensez-vous trouver suffisamment d’opérateurs pour les construire ?

Ce seront essentiellement des entités à but non lucratif qui les construiront, des Fondations pour ce qui est des LUP-HBM, des coopératives pour les autres LUP. Les arbitrages financiers ont déjà été passablement balisés par l’OCLPF (Office cantonal du logement et de la planification foncière).

La mutation du PAV prendra encore une quarantaine d’années. Qu’est-ce qui peut inciter les gens à s’y établir ?

Je le dis souvent, nous allons construire la Ville du 21e siècle. L’ensemble sera dense, diversifié, offrant une qualité de vie élevée. Il tiendra compte dans sa conception des changements climatiques. Les rivières de l’Aïre et la Drize seront remises à l’air libre, nous voulons planter beaucoup d’arbres qui protégeront les habitants de la chaleur. Il y aura des pistes cyclables et les parkings seront en périphérie du périmètre. D’ailleurs le PAV est immense : 230 hectares. À l’arrivée chaque quartier (Acacias, Grosselin, Praille, Vernets, Etoile) aura son identité propre.

La fondation PAV va-t-elle aussi intervenir sur les espaces publics ?

Bien sûr ! Nous y serons très attentifs dans la conclusion des DDP. D’habitude les espaces publics sont les parents pauvres de l’aménagement. Nous allons renverser la tendance : d’abord un grand parc, puis ensuite les logements.

Le PAV aura une très forte densité, alors plus il y a de monde, plus les espaces publics doivent être de qualité. Par ailleurs, il faudra utiliser toutes les astuces pour se préserver du réchauffement climatique, capter la chaleur et humidifier l’air. Les futures constructions devront intégrer ce type d’éléments, des façades végétalisées, des panneaux solaires, etc…

Rédaction Comptoir Genevois Immobilier SA |  25 janvier 2021