[Entretien - Livio Elia, Eskenazi] - «Penser aux impacts dès la conception du produit »

Eskenazi est une entreprise familiale centenaire qui compte une quarantaine de collaborateurs. Dirigée par Livio Elia, la société carougeoise produit une large gamme d’outils de coupe utilisés aussi bien par le secteur médical que l’horlogerie ou la machine-outil. Elle maîtrise l’ensemble des phases de fabrication, de la poudre de carbure jusqu’au produit fini. Son directeur veut réduire la consommation d’énergie et de matière tout au long du cycle de production.

Entretien et rédaction réalisés par Aline Yazgi pour l’équipe Genie.ch.

Vous affirmez essayer continuellement de diminuer vos inputs. Pouvez-vous en dire plus ?

Livio Elia. Nous essayons de minimiser nos impacts tout au long du cycle de fabrication, en utilisant le moins de matière possible et en réduisant autant que se peut l’énergie utilisée. Nous faisons en sorte de perdre un minimum de matière, ce qui commence par le fait de façonner des formes aussi proches que possible de celles de l’outil final. Ces différents efforts constituent aussi une manière de diminuer nos coûts.

Et vous préoccupez-vous également de la fin de vie de vos outils et matériels ?

L.E. Oui, nous offrons la possibilité à tous nos clients de récupérer leurs outils usagés et essayons de les sensibiliser à cette question. Quand c’est possible, nous les réaffutons pour les remettre en condition. Si ce n’est pas le cas, nous les remettons à la filière qui recycle le carbure. Ce dernier redevient de la poudre et peut alors être réutilisé.

Réutilisez-vous cette poudre pour fabriquer de nouveaux outils ?

L.E. Non, nous ne pouvons pas utiliser de la matière recyclée pour nos outils, à cause de la qualité et de la précision demandées par les utilisateurs. Mais aujourd’hui, on trouve sur le marché des outils de coupe fabriqués à partir du carbure recyclé.

Recyclez-vous également de la matière durant le cycle de fabrication ?

L.E. Oui, nous essayons de tout recycler, à chaque étape, pas uniquement les pièces frittées, mais aussi les sources intermédiaires : la paraffine, les boues, les morceaux pré-frittés, etc. Ces différents matériaux repartent soit dans nos circuits, ce qui évite d’utiliser de la matière fraîche, soit dans les filières de recyclage.

Idem pour l’eau : nous travaillons sur des circuits aussi fermés que possible pour pouvoir la réutiliser. Lorsque c’est nécessaire, nous la filtrons pour la garder dans des conditions constantes.

Pour fabriquer vos outils, vous devez utiliser p.ex. des fours pouvant aller jusqu’à 1200 degrés et êtes donc un gros consommateur d’énergie. Quelles actions avez-vous entreprises pour diminuer votre consommation ?

L.E. Nous travaillons avec des organismes tels que les SIG pour voir partout où nous pouvons économiser de l’énergie. Mais même avant cela, nous avions pris diverses actions. Nous avons ainsi installé il y a une dizaine d’années un processus de refroidissement adiabatique à la place d’une climatisation traditionnelle qui nous a permis d’économiser beaucoup d’énergie : l’air chaud passe à travers des filtres (nids d’abeille) humides, ce qui le refroidit, car en s’évaporant, l’eau absorbe les calories présentes dans l’air. Ce processus a été validé par les SIG qui trouvent qu’il s’agit d’une bonne solution pour rafraîchir des locaux avec très peu d’énergie. Nous avons aussi remplacé il y a trois ans tous nos néons par des leds. Quant à l’air chaud qui sort des machines, il est directement insufflé dans les ateliers, ce qui évite de les chauffer en hiver. Enfin, nos fours complètement automatisés sont très bien isolés. Ils ont beau chauffer à 1200 degrés, on peut mettre la main dessus.

Et aujourd’hui continuez-vous vos efforts ?

L.E. Oui, nous travaillons avec un fabriquant suisse de machines qui lui-même collabore avec l’EPFZ pour voir comment réduire l’énergie de ses machines, notamment en dehors des plages de travail. Nous allons tester ce procédé ce mois-ci. Nous sommes parmi les premiers à nous occuper concrètement des temps morts sur les machines. C’est très motivant, car intellectuellement, on ne comprend pas pourquoi on devrait consommer plus d’énergie que nécessaire.

Quels conseils donneriez-vous aux autres industriels qui voudraient diminuer leur consommation de matière et d’énergie ?

L.E. De manière générale, il faut que l’ADN de l’entreprise soit orienté à toutes les étapes sur cette thématique. Il s’agit d’un état d’esprit. Déjà au moment où l’on imagine et où l’on conçoit le produit, il faut penser aux impacts. Il faut s’interroger : pourquoi utiliser beaucoup d’énergie, d’eau ou de composants quand on peut faire avec moins ? En se posant ce genre de questions, on simplifie souvent aussi les processus. Ce qui économise généralement de la matière et de l’énergie, mais aussi du temps, qui peut alors être utilisé pour des activités à plus haute valeur ajoutée. Enfin, on peut réfléchir au fonctionnement de l’entreprise en ne gardant que ce qui est utile, ce qui réduit souvent ses besoins d’énergie et de place.

Au-delà des processus, ils devraient s’adresser à des organismes tels que les SIG qui ont beaucoup de compétences et de professionnels. En outre, selon ce que l’on fait, on peut obtenir des subventions.