En comparaison avec ses voisins européens, la Suisse reste un pays industriel

Dans une Europe qui cherche à se réindustrialiser, la Suisse a réussi à maintenir un secteur industriel plutôt important comparé à ses voisins. Au point que le poids de l’industrie dans le PIB helvétique soit comparable à celui de l’Allemagne. Illustration en graphiques

Rédaction Le Temps | Etienne Meyer-Vacherand | 24.05.2024

Le poids de l’industrie dans le PIB suisse est comparable à celui de l’industrie allemande. — © DR
Le poids de l’industrie dans le PIB suisse est comparable à celui de l’industrie allemande. — © DR

C’est devenu un mantra pour certains pays européens depuis la fin de la pandémie: il faut réindustrialiser l’économie. Les pénuries liées à la crise sanitaire, l’envolée des prix de l’énergie dans la foulée de la guerre en Ukraine et les instabilités géopolitiques poussent chacun à tenter de rapatrier des capacités industrielles et à protéger celles déjà existantes tout en soutenant des industries naissantes.

Des ambitions qui se traduisent par la mise en place de politiques industrielles importantes, que ce soit au niveau de l’Union européenne ou des Etats-Unis. Avec par exemple la volonté de soutenir la transition vers une économie plus durable, comme le Green Deal européen destiné à permettre de remplir l’objectif d’une neutralité carbone en 2050, ou les différents Chips Act pour rapatrier en Occident des capacités de production de semi-conducteurs.

La part de l’industrie dans le PIB suisse reste supérieure à celle de la moyenne de l’UE

Dans ce contexte, la Suisse occupe une place particulière. Contrairement à la France ou à l’Espagne, elle n’a pas vu son industrie s’effondrer durant ces dernières décennies. En 2023, environ 20% des personnes actives occupées l’étaient dans le secteur secondaire selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Si la proportion a baissé au fur et à mesure que la population helvétique a progressé, on observe une certaine stabilité dans le nombre d’emplois, voire une légère augmentation ces dernières années. Le secteur industriel occupait l’an dernier un peu plus d’un million de personnes, tandis que dans les années 2000 ce chiffre était légèrement inférieur à ce seuil symbolique. «Dans l’industrie des machines, la proportion a même augmenté puisque nous comptions 300 000 employés au début des années 2000 contre 330 000 aujourd’hui», souligne Philippe Cordonier, responsable pour la Suisse romande de Swissmem (faîtière de l’industrie des machines).

Depuis les années 1960, le secteur tertiaire a bien évidemment pris du poids mais celui de l’industrie dans l’économie suisse s’est relativement maintenu. «Depuis les années 2000, la part de l’industrie dans le PIB est plutôt stable. Nous sommes à un niveau comparable à celui de l’Allemagne, qui malgré ses difficultés actuelles, reste le moteur industriel de l’Europe», souligne Cristina Gaggini, directrice romande de la faîtière Economiesuisse.

Depuis les années 60, le nombre de personnes actives dans l’industrie a diminué mais se stabilise autour du million

En 2022, l’industrie manufacturière helvétique pesait pour 18,4% du PIB du pays selon les chiffres de la Banque mondiale et de l’OCDE, soit la même proportion qu’en Allemagne, tandis que pour l’Italie et la France ces proportions était respectivement de 14,9% et 9,5%. En prenant en compte l’industrie au sens large, qui inclut la construction, les chiffres sont de 26,9% du PIB pour l’Allemagne, 24,9% pour la Suisse, 23,8% pour l’Italie et 16,8% pour la France. «Ce qui nous réjouit c’est que cette stabilité s’est maintenue malgré des conditions difficiles comme le covid, l’inflation des matières premières et la hausse des coûts de l’énergie», ajoute Cristina Gaggini.

Un succès sans politique industrielle

Lorsque l’on parle d’industrie en Europe, l’image la plus commune est aujourd’hui celles des délocalisations au profit de pays où la main-d’œuvre est plus abordable. L’industrie suisse n’a pas forcément été épargnée par ces phénomènes, reconnaît Philippe Cordonier. «L’industrie suisse a vécu la fermeture de pans entiers, comme celui la production textile. On peut aussi citer l’exemple des moteurs Sulzer, dont la production a quitté la Suisse. Aujourd’hui, l’industrie lourde n’existe quasiment plus dans le pays, mais les places de travail perdues ont été remplacées par des postes à haute valeur ajoutée», détaille-t-il. Ces mouvements ne sont pas finis, en témoigne la récente annonce de la fermeture de l’usine de recyclage de verre de Vetropack à Saint-Prex (VD) ou la fermeture d’une ligne de production chez le fabricant d’acier soleurois Stahl Gerlafingen.

Dans certaines branches de l’industrie, les nombre d’emploi est remonté ces dernières années

Production de niche et à haute valeur ajoutée, diversification des débouchées et des activités, etc., les ingrédients de la recette de ce succès sont régulièrement mis en avant. «La question de la force du franc, par exemple, a continuellement poussé les entreprises à prendre des mesures d’efficacité et à repenser leur chaîne d’approvisionnement», illustre Cristina Gaggini. «La Suisse est un petit pays en termes de capacité industrielle, qui ne dispose pas d’un grand marché intérieur capable de soutenir un secteur. Par notre taille, nous sommes condamnés à être un pays exportateur, donc en concurrence permanente sur les marchés mondiaux», poursuit Philippe Cordonier.

Cette nécessité de s’adapter en permanence face à la concurrence étrangère et les conditions-cadres garanties par la Confédération, sont vues comme les deux piliers de ce succès. Face aux politiques industrielles et aux subventions qui se mettent en place, les milieux économiques et le Conseil fédéral semblent être sur la même longueur d’onde: la Suisse n’a pas besoin d’une politique industrielle verticale. Dans un rapport publié mercredi, le Conseil fédéral réaffirmait ce principe tout en estimant que les politiques menées à l’étranger n’auraient qu’un impact limité sur l’industrie suisse.

Le nombre d’emplois lié à l’industrie reste plus stable en Suisse que dans d’autres pays européens

Pour autant, les dossiers à traiter ne manquent pas pour continuer à préserver l’industrie suisse, estime Cristina Gaggini, notamment la question de la sécurité de l’approvisionnement électrique, les pénuries de main-d’œuvre liées au vieillissement de la population ou encore les négociations avec l’Union européenne.